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Silivren
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Jeu 27 Aoû - 14:29
L'Histoire c'est ma passion, mes études, mon futur métier, ma vie peut-être même. J'aime l'étudier depuis toujours, les mythes me fascinent, les religions encore plus. J'aime savoir le pourquoi du comment, je suis d'une curiosité maladive et mon intérêt est grand sur la façon dont les Anciens ont pensé la mort autrefois.

Alors quand on m'a dit que je pouvais parler Histoire en ayant un public attentif, grande fut ma joie ! N'hésitez pas à me poser une question sur tel ou tel sujet. Je pense pour ma part m'amuser à faire une synthèse sur Léonidas - personnage historique que j'admire énormément - sur les dieux égyptiens, sur la construction des pyramides - non pas des esclaves, non, non et non- ... bref, m'amuser. ^^ Je ressortirai aussi quelques uns de mes exposés ayant reçu compliments et bonnes notes, de fait étant assez travaillés pour être partagés.

Alors je vous invite à prendre place et à vous immerger dans les méandres de l'Histoire. Very Happy


Dernière édition par Silivren le Jeu 27 Aoû - 15:11, édité 1 fois
Silivren
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Jeu 27 Aoû - 14:58
Là, je vous ressors juste un petit expo de l'année dernière, sur les Vestales, les prêtresses de la déesse romaine Vesta officiant à Rome.
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Les Vestales


Comme dans toute ville antique, à Rome, la religion n'est pas un domaine à part. Elle est étroitement imbriquée avec les domaines civil et politique. Les hommes dirigent les relations des communautés même dans la religion. Rien que dans le domaine privé, le pater prend le rôle de prêtre et c'est lui qui officie aux prières familiales. Toutefois, les femmes n'étaient pas totalement exclues de la vie religieuse mais, de part leur statut constant de mineure, elles ne pouvaient pas occuper de rôle actif et étaient exclues des moments les plus importants du culte, plus particulièrement la mise à mort, le découpage des viandes et le partage des chairs de la victime sacrificielle.

Pourtant, les Vestales sont des femmes qui, dès les origines de la ville, remplissent un sacerdoce officiel. Les Romains faisaient remonter l'instauration du collège des Vestales à Numa ou à Romulus. Par ailleurs, pour beaucoup, la mère de Romulus et Remus, Rhéa Silvia, était elle-même une Vestale, ce qui ferait remonter l'instauration de ce collège à une époque antérieure à la fondation même de Rome. Le roi Numa, chez Plutarque notamment, aurait également été l'instigateur de la création des réglementations de ce collège.

En quoi consistait donc ce collège des Vestales et quel pouvait être son importance dans la vie religieuse et civique de Rome ?

I- LES CADRES DE CE SACERDOCE FEMININ

Les Vestales sont regroupées dans un collège composé de six prêtresses qui sont dirigées par la Grande Vestale, la plus âgée d'entre elles. Leur sacerdoce se décomposait en trois étapes : pendant les dix premières années, elles se consacraient à l'apprentissage de leurs tâches ; les dix suivantes étaient consacrées à l'exercice plein et entier de ces tâches ; enfin, les dix dernières années étaient dévolues à la formation des jeunes Vestales.  Après ces trente ans de service, les Vestales avaient le droit de  quitter leur sacerdoce pour retourner à la vie civile. Leur vœu de chasteté prenait alors fin et elles pouvaient se marier. Toutefois, sous l'Empire, nous n'avons retrouvé la trace qu'aucun exemple de ce type. En vérité, peu nombreuse étaient les Vestales qui faisaient ce choix.

Plutarque, Vie de Numa, IX-XI. a écrit:« Le roi fixa pour ces vierges sacrées une période de continence de trente ans, dont elles passent la première décennie à faire leur apprentissage, la deuxième à exécuter ce qu’elles ont appris et la troisième à former elles-mêmes les novices. Au bout de ces trente ans il est permis à celles qui le veulent de contracter mariage et d’adopter un nouveau genre de vie […]»  

On ne choisissait pas de devenir une Vestale, on était choisi.  Ce choix obéissait à plusieurs conditions. Toute d'abord, la fillette choisie devait avoir entre 6 et 10 ans, en fait de ne pas avoir encore connu sa puberté. Elle devait également être exempte de tares corporelles. Ses deux parents devaient être en vie. De plus, ni la fillette, ni le père ne peuvent avoir été émancipés. On suppose que cela tient du fait qu'avec l'émancipation, la fillette serait juridiquement orpheline, ce qui ne correspondrait pas à la condition précédente. Le mode de choix subit toutefois des évolutions au fil des siècles. Dans les derniers siècles de la République, la future prêtresse était tirée au sort devant l'assemblée à partir d'une liste de vingt noms, établie par le pontifex maximus. A la fin règne d'Auguste, ou au début du règne de Tibère, la chronologie de cette évolution n'étant pas certaine, devant le manque répété de candidates, l'obligation de dresser une liste de vingt noms est levée, pourvu que le pontifex maximus présente au Sénat une ou deux candidates proposées par leurs pères. Le Sénat prenait ensuite sa décision. Le rôle du pontifex maximus ne s'arrêtait pas là. Il était en fait primordial. C'est lui qui procédait à la captio, la "prise" des Vestales. La captio était une cérémonie qui s'apparentait au rite du mariage. Le terme de captio indique que le pontifex maximus pouvait se passer de l'accord des parents dans son choix. Il y avait toutefois des exemptions : pour la sœur d'une Vestale, pour la fille des prêtres publics, pour la fille d'une famille bénéficiant de la ius trium liberorum, à savoir une loi appartenant à la législation du mariage par Auguste, datant de 18 av JC, et qui prévoit des avantages juridiques aux parents de trois enfants.

Après cette captio, la fillette commençait donc ses dix ans de formation. La principale obligation des Vestales était de rester vierges durant la totalité des trente années de leur sacerdoce. Selon John Scheid, dans le livre Histoire des femmes en occident. L'Antiquité, cette obligation est plus à rapprocher de la chasteté des matrones romaines, fidèles à un seul homme qu'à une abstinence totale. Leur chasteté assurait la protection de Vesta sur la ville de Rome. Cette obligation renforce leur statut d'êtres d'exception car, dans le monde romain, la femme était promise à la vocation du mariage et de la fécondité. Mais, comme pour les flamines, les Vestales devaient se vouer entièrement au culte de la déesse, engendrant par là toute une série de restrictions et d'obligations. L'eau, qui est l'élément contraire du feu, le symbole de Vesta, ne pouvait se retrouver au sein du temple. Les Vestales avaient donc l'obligation d'aller puiser l'eau qui leur était nécessaire à la fontaine des Camènes, près de la porte Capène. Personne n'avait le droit de rentrer dans le temple de Vesta hormis les Vestales et les pontifes. Toutefois, cette interdiction était levée pour les matrones lors des Vestalia. Les  Vestales habitaient pendant toute la durée de leur sacerdoce dans l'atrium de Vesta, à côté du temple de la même déesse et de la Regia sur le forum romain. Elles avaient enfin un habit spécifique qui permettait de les reconnaître. Elles portaient en effet la robe matronale, un voile de mariée et se coiffaient de façon particulière , à savoir avec une coiffe rouge, le flammeum, et les sex crines, les six tresses des mariées.

II- LE ROLE DES VESTALES

La part la plus importante du rôle des Vestales est l'entretien du foyer de Vesta. Vesta est une ancienne déesse d'origine indo-européenne. Elle symbolise le feu bienveillant et protecteur et sa permanence assure stabilité et force. Dans la religion privée, elle est honorée par chaque famille par le biais de leur foyer. Son temple, Aedes Vestae, est le centre vital de Rome. Il se situe sur le forum romain et avait une forme ronde qui devait rappeler celle des habitations primitives de Rome. Cette forme aurait aussi comme signification de rappeler l'"univers entier, au centre duquel [...] se trouve le feu" (Plutarque, Vie de Numa, IX-XI). Il n'y avait pas de statue de culte car la déesse était présente par le feu en lui-même. Outre le foyer de la cité, il contient également, dans son penus, cad la partie la plus sacrée du temple, divers objets sacrés garants de la puissance romaine.  La liste est difficile à établir car leur efficacité tenait dans le secret qui les entourait. En tout cas, on croyait qu'il y avait le palladium (statue en bois, sensée représenter la déesse Minerve, très sacrée puisque, selon la tradition, elle aurait été emportée par Enée, prince troyen, en s’enfuyant de Troie alors en feu), le sceptre du roi Priam, un phallus et les mystérieux pénates du peuple romain rapportés de Troie par Énée selon la légende. Le culte de Vesta est l'un des seuls cultes de Rome à garder fidèlement les traces du culte primitif. Ce conservatisme rigoureux symbolisait la pureté originelle de la déesse et la puissance tutélaire et redoutable qu'elle représente pour le destin de Rome. Les Vestales devaient donc veiller à l'entretien du foyer de Vesta pour garantir la pérennité de l'Etat, entretenant ainsi la pax deorum cad les bonnes relations entre les hommes et les dieux. Pour illustrer ces propos, voyons l'exemple suivant : le sacrilège de Serena. En 408, Serena n'hésita pas à s'emparer de la parure de la Grande Mère des dieux sur le Palatin malgré les imprécations d'une vestale. Pour l'historien Zorisme, ce sacrilège serait la cause de la prise de Rome par Alaric en 410. Les Vestales assuraient également, par le transfert sans cesse renouvelé de la flamme civique aux foyers domestiques, le bon accomplissement des cultes privés. Si jamais le feu perpétuel venait à s'éteindre, par faute de vigilance, les Vestales ne pouvaient le rallumer sans suivre une règle précise. On ne pouvait en effet utiliser un autre foyer ; il fallait obligatoirement frotter l'un contre l'autre les morceaux d'un arbre felix.

Outre l'entretien de ce foyer, les Vestales, qui restaient des prêtresses,  devaient également se consacrer aux cérémonies religieuses en l'honneur de Vesta. Elles étaient en fait peu nombreuses. Au 1er mars, qui correspond au début de l'année primitive, le feu du temple est rallumé solennellement. En fait, les principales fêtes en l'honneur de Vesta sont les Vestalia qui se déroulent au mois de juin et obéissent à différentes étapes. Tout d'abord, du 7 au 14 juin, le temple était ouvert aux matrones qui venaient y prier, les pieds nus. Ensuite, le 9, les Vestalia sont l'objet d'une coutume pittoresque : les ânes, exempts de tout travail, portent autour du cou des guirlandes de pains. C'est un hommage rendu par les boulangers et les meuniers, dont les ânes tournent les meules, à la déesse qui permet la cuisson du pain. Enfin, le 15 juin, le temple était solennellement balayé et le stercus (fumier) symbolique expulsé. De plus, les Vestales sont les représentantes des femmes des familles citoyennes, notamment dans ces Vestalia qui sont un temps fort pour les matrones. En assurant publiquement à cette occasion le balayage rituel du sanctuaire, comme en revêtant le costume consacré de l’épousée, la Vestale assume bel et bien, même si c’est à titre idéal, le personnage d’une de ces matrones auxquelles la période permet, exceptionnellement, l’accès au sanctuaire interdit.  

Les Vestales assuraient également des fonctions plus ou moins importantes dans la vie religieuse romaine. Au sein du sanctuaire en lui-même, elles préparaient la mola salsa, une farine salée servant aux sacrifices public, faites à partir d'un mélange de saumure et de farine,  et la mola, une farine rituelle préparée à jour fixe, pour les Lupercales le 15 février, pour les Vestalia le 9 juin et aux Ides de septembre cad le 13 du mois, et assuraient un service quotidien en grande partie lié à l'entretien du foyer, développé plus haut, ainsi que le nettoyage du sanctuaire du 7 au 15 mars. Elles avaient également droit au couteau sacrificiel et avaient donc la possibilité de faire des sacrifices sanglants. Les Vestales participaient aussi, aux côtés d'autres acteurs, au cycle des fêtes rurales et à celui des fêtes civiques. Pour le premier, elles participaient  par exemple au sacrifice des Fordicidia du 15 avril en procédant à l'incinération des veaux et, aux Consualia, elles sacrifiaient à l'autel souterrain de Consus. Elles avaient également un rôle dans les Opiconsiua, pour la protection des produits engrangés et leur bonne conservation. Pour le second, prenons l'exemple des Parentalia de février, neuvaine consacrée aux morts (les parents défunts notamment), qui commençaient par un sacrifice effectué par la Grande Vestale. Elles préparaient en outre le suffimen purifiant cad la fumigation composée à partir des veaux sacrifiés aux Fordicidia et du sang coagulé du cheval d'Octobre. De plus, aux Argées du 15 mai, en compagnie des pontifes, elles jetaient dans le Tibre des mannequins d'osier ; aux fêtes de Bona en décembre, elles assistaient aux rites secrets et nocturnes que célébraient les matrones une fois par an ; elles étaient présentes aux jeux séculaires, où 110 matrones étaient nécessaire pour son déroulement, et aux kalendes de janvier. Enfin, elles participaient à des sacrifices et des rituels extraordinaires et à des cérémonies liées à la famille impériale (vœux et sacrifices réguliers et extraordinaires ; lors des entreprises militaires des princes et des funérailles).

On retient bien souvent du rôle des Vestales que celui dévolu à l'entretien du foyer de Vesta. Il était de fait primordial mais leur rôle revêtait bien d'autres aspects tout aussi importants au bon fonctionnement de la religion au sein de la cité.

III- LE STATUT PARTICULIER DES VESTALES

Les Vestales étaient des femmes d'exception et en marge des règles habituelles de la société romaine, engendrant par là un statut particulier.

Bien que femmes, et par conséquent mineures, elles avaient droit à des privilèges et des exemptions qu'aucune autre femme ne pouvait prétendre. Ces privilèges étaient les suivant: elles avaient le droit de se montrer en public et de circuler en char dans les rues de Rome ; elles pouvaient posséder certains insignes de pouvoirs, comme être précédées par des licteurs (normalement réservés à des magistrats supérieurs)  ; elles avaient la possibilité de gracier tout condamné à mort qu'elles croisaient si elles assuraient que cela n'était pas prémédité ; elles étaient capable de témoigner en justice et étaient exemptes de devoir prêter serment ; elles avaient enfin une place réservée au théâtre. Les Vestales sont de plus exemptes de la tutela mulierui et peuvent ainsi  mener leurs affaires sans la surveillance d'un tuteur (père, mari ou frère en temps normal). Enfin, comme nous l'avons rapidement énoncé dans leurs fonctions religieuses, elles pouvaient effectuer un sacrifice sanglant comme le ferait un prêtre, un homme, alors que les femmes romaines n'en ont pas le droit.


Plutarque, Vie de Numa, IX-XI. a écrit:« Numa leur donna de grands privilèges, comme de disposer de leurs biens du vivant même de leurs pères et de régler leurs autres affaires sans curateurs […]. Elles sont précédées de licteurs […] ; et si, par hasard, elles rencontrent un condamné que l’on mène à la mort, il n’est pas exécuté ; mais il faut que la vierge jure que la rencontre était involontaire, fortuite, et non pas voulue. »

Toutefois, elles restaient sous l'autorité du pontifex maximus. Nous avons vu que cette figure éminente de la religion romaine procédait à leur captio. Elle était également en charge des châtiments. Dans le cas où les Vestales laisseraient s'éteindre le feu sacré ou manqueraient à leur vœu de chasteté leur châtiment était rude. Le pontifex maximus, qui a toute autorité sur elles sur ce point, peut ordonner qu'elles soient battues de verges, dans le premier cas, ou emmurées vivantes à la porte Colline dans le Campus sceleratus, dans le second. Ce dernier châtiment obéit à une vision religieuse. En effet, pour éviter de souiller la ville en répandant le sang de ces prêtresses sacrées, on les enfermait dans une tombe avec quelques aliments. On a quelques exemples dans l'Histoire de ce  suprême châtiment, notamment en cas de danger de l'existence de la cité (par exemple  lors des troubles civils de la fin du IIe siècle, sous le règne de Domitien, la grande vestale Cornelia fut ainsi ensevelie vivante).

Plutarque, Vie de Numa, IX-XI. a écrit:« Les fautes de ces vierges sont d’ordinaire punies du fouet, qu’en certains cas le Grand Pontife donne à la coupable nue […]. Mais celle qui a violé le vœu de chasteté est enterrée vive près de la porte Colline… »

Enfin, le statut particulier de ces prêtresses se retrouve dans leur statut juridique. Ce dernier a un caractère tout à fait exceptionnel engendré par le choix des prêtresses, la captio, et par les conséquences de cette captio en matière de droit privée. Cette "prise" du pontifex maximus engendre en effet une profonde modification du statut juridique de la Vestale. Cette dernière passe de la patrias potestas à la sui iuris. Autrement dit : avant son sacerdoce, elle était sous l'autorité de son père en tant que membre de sa famille ; après sa captio, la Vestale sort de cette autorité mais elle n'appartient pas pour autant à une nouvelle famille et à l'autorité de son mari. Elles disposent de ce fait de la ius testamentis faciundi qui leur permettait d'hériter et de transmettre des biens, à la différence des autres femmes. La Vestale est ainsi mise à part de toutes les règles qu'impose normalement la société aux femmes.


Ni jeune fille, ni matrone, portant à la fois les insignes de la mariée et la matrone, le statut ambigu de la Vestale lui donne un certain aspect masculin qui explique qu'elle puisse tester, libérée de la tutelle de son père, ou encore être précédée de licteurs et, dans le domaine religieux, avoir des rôles habituellement consacrés aux hommes, tels que procéder soi-même au sacrifice d'un animal sur un autel.


BIBLIOGRAPHIE :
-C. SALLES, « VESTA, religion romaine », Encyclopædia Universalis

-C. SALLES, « VESTALES », Encyclopædia Universalis

- F. VAN HAEPEREN, « A propos de recherches récentes sur les Vestales », dans L’Antiquité classique, 77, 2008, p. 309-319

-J.  SCHEID, La religion des romains, Paris, 1998

- J. SCHEID, « D'indispensables étrangères. Les rôles religieux des femmes à Rome », dans Histoire des femmes en occident. L'Antiquité, Paris, 1990 - 2002

- J. PAILLER, « Marginales et exemplaires. Remarques sur quelques aspects du rôle religieux des femmes dans la Rome républicaine », Clio. Histoire‚ femmes et sociétés

- M. BEARD, J. NORTH, S. PRICE (dir.), Religions de Rome, Paris 2006.
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Jeu 27 Aoû - 22:54
Waw ! Un très bon texte ! Vraiment passionnant !

Par contre, je plaide coupable : je n'ai pas tout compris.

Quand tu parles de "matrone", c'est bien aux épouses romaines que tu fais allusion ?

Et pis c'est quoi un licteur ?

En tout cas c'est un très bon exposé ! Merci à toi pour cette leçon d'Histoire =)
Silivren
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Ven 28 Aoû - 11:32
Merci ! Very Happy

N'hésite pas à me poser des questions ! J'aime ça.^^

1. Les matrones sont en effet les épouses romaines. Le terme vient du latin matrona, matronae. Il s'applique à des femmes épousées d'un certain âge, déjà mère, citoyenne romaine, et disposant donc de toutes les valeurs et la sagesse féminine que doivent avoir les citoyennes romaines : fidèle, chaste, mère.

2. Les licteurs sont chargés d'escorter les magistrats possédant l'imperium cad le pouvoir de contraindre et punir. Ils portent le faisceau de verges entourant une hache, symbole de pouvoir. Et oui, le symbole repris par Mussolini... Ce faisceau symbolise la contrainte par les verges, la punition par la décapitation par hache. C'est donc un grand privilège pour ces Vestales de posséder des licteurs.

3. Tu ne m'as pas demandé mais j'ai oublié d'expliciter la chose : le flamine. C'est une figure religieuse consacrée à une seule divinité durant toute sa vie avec beaucoup de restrictions, et possédant en contre-partie beaucoup de privilèges. Un flamine connu est celui de Jupiter.

A venir : pas de l'Histoire antique mais encore de l'Histoire religieuse, cette fois du XXe s. Un exposé sur le Bouddhisme au XXe s, sujet libre de ma fin de licence en Histoire contemporaine. J'y ai eu une excellente note ; très grande surprise. Mon prof m'a même proposé, si jamais je voulais faire un Master en contempo, d'être mon directeur de recherches. Ce sujet m'a passionnée contre toute attente (je l'avais choisi car je m'étais prise un fou rire en cours. Le prof : "Les sondages sont faussés car qui pratique le yoga n'est pas bouddhiste." Et moi de penser : "En effet, Bruce Banner fait du yoga pour calmer le Hulk mais il n'est pas bouddhiste pour autant !" et de l'imaginer en moine zen...xD).
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Ven 28 Aoû - 17:56
Merci pour les infos complémentaires ! =)

Donc les licteurs sont ceux qui appliquaient la sentence que le magistrat donnait c'est ça ? Un peu comme un bourreau ?

Ah oui, c'est vrai que je voulais demander pour les flamines puis je ne l'ai pas fait ^^"

... Hulk en robe de bouddha... *éclate de rire* J'sens que je ne verrais plus jamais Hulk de la même manière...


AU fait ! On a un autre Historien sur le forum : Poéri !

J'sais pas pourquoi, mais je sens que cette section va être animée geek
Silivren
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Ven 28 Aoû - 18:04
Euh... j'ai toujours vu les licteurs comme un rôle symbolique et des gardes du corps. Peut-être faisaient-ils le bourreau aussi. A vérifier.

Ah vraiment ? Chouette !^^
(Et c'est Banner que j'ai imaginé en moine zen... quoique Hulk... Laughing )

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Le bouddhisme au XXe s

De nos jours, le bouddhisme est surtout célèbre pour ses techniques de méditation, par les mots yoga et zen qui sont rentrés dans le vocabulaire quotidien.

Avant les années 90 toutefois, le bouddhisme ne revêtait pas une telle importance en Occident. Il y avait bien sûr eu des contacts entre cette religion orientale et la civilisation occidentale dans les siècles précédents et ce, dès Alexandre le Grand lorsqu'il mène ses armées sur les bords du Gange.  Mais jusqu'alors, la présence du bouddhisme en Occident ne revêtait pas une importance massive. S'il était déjà populaire et séduisant à la fin du XIXe s, il n'y avait aucun occidental qui allait plus loin que l'intérêt intellectuel pour se plonger dans la foi. Les signes de sa présence sont déjà manifestes dans les années 60 mais il faut un film avec Brad Pitt, Sept ans au Tibet en 1997, pour que le bouddhisme s'insère massivement en Occident, porté par la mode induite par ce film hollywoodien. Ce soudain intérêt s'inscrit de plus dans de nombreux fantasmes occidentaux, notamment le mythe du Tibet, tous liés à un attrait occidental pour l'exotisme des religions orientales ; et cet attrait est loin d'être une nouveauté puisque, déjà sous l'Empire romain, les cultes orientaux avaient trouvé de nombreux échos en Occident. Le dialogue entre les traditions occidentale et orientale fait suite à une série de préjugés et de malentendus qui faisaient que le bouddhisme était vu de façon opposée : du haut Moyen Age à la Renaissance, il était vu comme une extension historique  du christianisme puis, inversement, aux XVIIIe et XIXe s, c'est le christianisme qui est vu comme une branche lointaine de la religion asiatique. Parallèlement, l'immigration asiatique des années 1990-2000 renforce ce mouvement en induisant un transport des religions orientales, bouddhisme mais aussi hindouisme et autres, vers l'Occident dans une telle mesure que l'on peut parler de "vagues orientalisantes". Le bouddhisme s'insère dans un contexte de crise des consciences religieuses et d'un retour du religieux dans ce qu'on appelle la religion post-moderne.

Comment peut-on expliquer l'intérêt puissant des Occidentaux pour le bouddhisme et l'implantation de ce dernier en Occident ?  




L'intérêt massif des Occidentaux pour le bouddhisme à la fin du XXe s fut tel que l'on a pu parler d'une déferlante bouddhiste.  

A la base de la recrudescence de l'intérêt occidental pour le bouddhisme et de la dimension massive qu'il acquière dans les années 90, il y a le film hollywoodien Sept ans au Tibet avec Brad Pitt. Suite au succès de ce film, le bouddhisme déferle dans la presse et la télé et se développe une véritable mode bouddhiste dans les années 1990-2000 ; il en devient alors un "fait de société". En France, de grands journaux se mettent à en parler : des titres comme Le Monde et Libération couvrent la fondation en 1987 du plus grand temple tibétain d'Europe, le Kagyu Ling. Du côté de la presse hebdomadaire, depuis le milieu des années 90, on consacre des dossiers spéciaux au bouddhisme à intervalles réguliers : de 1995 à 2000, il y a eu au moins un dossier sur le bouddhisme dans chacun des grands périodiques français. Par exemple, Le Figaro y consacre deux numéros, l'un en octobre 1996 et l'autre en 2006, ou encore Le Nouvel Observateur sort un numéro en août 2000. Toujours en France, la télé consacre également des émissions au bouddhisme et va même jusqu'à créer une émission spéciale sur le sujet intitulée la Voix bouddhiste. Ce traitement médiatique amène un véritable sensationnalisme du bouddhisme qui, dès lors, apparaît dans l'illusion d'une irruption soudaine dans le paysage religieux et culturel occidental. Malgré l'intérêt des Occidentaux déjà visible au XIXe s, et même avant, la fascination occidentale pour le bouddhisme semble être soudaine et comme un effet de mode - le sociologue Lionel Obadia parle même d'une "vogue bouddhiste" -  aussi passager que la mode elle-même. Cette illusion est si prégnante qu'elle en masque la vérité de la présence ancienne du bouddhisme en Occident et surtout de l'immigration asiatique de la fin du XXe s qui soutient de fait le regain d'intérêt occidental pour le bouddhisme.

L'Europe est en effet le théâtre de grandes vagues de migration asiatique depuis la seconde moitié du XXe s. Les effets déstabilisateurs de la décolonisation mènent de plus à une intensification et même une massification de cette migration asiatique. Outre les motifs politiques, cette migration prend ses racines dans un intérêt asiatique pour le niveau plus élevé de l'industrie et de la technologie en Europe qui permet une plus large offre d'emploi ainsi que dans l'extension des échanges économiques à un niveau international. Si le fait migratoire joue bel et bien un rôle important dans la diffusion du bouddhisme, il ne faut pas oublier que tous les migrants asiatiques ne sont pas de confession bouddhiste, même ceux venant spécialement des pays à majorité bouddhistes. Ces populations immigrées font montre de véritables efforts d'adaptation à la société d'accueil. Cette volonté d'intégrer le système n'empêche pas ces populations de vouloir garder leur identité culturelle et même de la valoriser. L'enracinement du bouddhisme en Occident passe alors par l'implantation et l'institutionnalisation de la religion sur le sol européen. L'implantation se voit dans la formation d'une constellation de petites communautés bouddhistes qui mène, avec ces lieux de culte, à un ancrage matériel du bouddhisme dans le paysage européen. L'institutionnalisation  se fait par la fondation d'organismes à divers niveaux, local, national ou international. Plus particulièrement au niveau national, des Fédérations ou des Unions - dont le rôle est d'assurer la liaison entre les communautés bouddhistes et les instances politiques et administratives - sont créées tout au long du XXe s, déjà en Allemagne en 1955 ou encore en France en 1986. Autre facteur d'institutionnalisation : la reconnaissance du statut religieux des lieux de cultes bouddhistes ; par exemple, de nos jours, la France compte neuf congrégations religieuses bouddhistes.

Le bouddhisme jouit en Occident d'une popularité et d'un accueil favorable qui ne peuvent être remis en cause. Toutefois, il rencontre également, du moins à ses débuts, plusieurs oppositions. Ce qui est favorablement accueilli, ce sont certaines pratiques bien spécifiques, telles que la méditation, mais l'accueil se refroidit dès le moment où le bouddhisme entend s'établir dans ses traditions. Le bouddhisme a en effet été longtemps considéré comme un "corps étranger" à la civilisation occidentale et parfois même à un facteur de désordres ethnique et religieux. La première vague d'arrivée de moines bouddhistes en Occident, avec leurs atours inhabituels, entraîne de fait un sentiment d'altérité chez les Européens. Le bouddhisme est une religion bien étrangère à leurs yeux tant sur les pratiques que sur la culture. Il apparaît alors comme un danger ou même concurrent à un christianisme en baisse. Le pape Jean-Paul II refuse même en 1994 dans son ouvrage Entrez dans l'espérance l'offre d'un salut authentique de la part d'une religion qu'il qualifie d'"athéisme". La fondation de lieux de culte et de groupes d'étude devient un facteur de tensions avec l'environnement social et religieux du pays d'accueil car les pays occidentaux disposent d'une législation pour réguler les actions religieux à l'intérieur d'un espace national en majeur partie formé par le christianisme occidental. Ces dernières années, il s'agit plutôt, dans un contexte de peurs sectaires, d'un risque d'assimilation avec des sectes du fait d'une contiguïté des pratiques. Le courant bouddhiste le plus concerné par ce risque est la Soka Gakkaï qui possède un ensemble de traits alimentant le soupçon sectaire. L'échec des premières tentatives montrent que la tradition orientale du bouddhisme ne peut être importée telle quelle en Occident et qu'elle demande des réajustements idéologiques et institutionnels, permettant par la suite un dialogue interreligieux.
Cette véritable déferlante du bouddhisme en Occident à la fin du XXe s n'est pas un phénomène nouveau et se elle se base sur des intérêts spécifiquement occidentaux.



L'intérêt des Occidentaux pour le bouddhisme est ancien mais il se pare au XXe s de nouveaux atours plus contemporains et inscrits dans le temps de l'époque.

Cet intérêt occidental est loin d'être une nouveauté et il s'inscrit dans un terreau d'intégration ancien. Déjà connu depuis l'Antiquité, le bouddhisme est découvert -ou plutôt redécouvert - dans sa dimension de système religieux dans la deuxième décennie du XIXe s. L'intérêt que les Occidentaux lui portent est alors important dans les milieux intellectuels, notamment dans la charnière entre le XIXe et le XXe s. Il alimente les utopies du siècle finissant dans les cercles intellectuels qui forment un foyer où se développe une véritable apologie du bouddhisme. Toutefois, cet intérêt n'exclut pas nombre de malentendus qui font du bouddhisme un objet de fantasmes occidentaux liés à l'exotisme qui s'en dégage. Le bouddhisme est en effet objet d'une fiction légendaire qui s'inscrit dans une imagination occidentale des civilisations orientales. Le cas du Tibet est particulièrement évocateur de cette fantasmagorie occidentale : littérature et pensée intellectuelle créent une image d'un pays inaccessible et mystique et d'un environnement de mysticisme et de sacralité. C'est ainsi qu'un nombre important d'auteurs façonne le fantasme d'un Tibet comme terre de "mystiques et de magiciens". Si ce thème reste encore marginal hors des cercles intellectuels dans les années 70, l'engouement occidental autour du bouddhisme connaît après les deux Guerres mondiales une lente mais régulière augmentation dans la littérature et les médias dès les années 80. Les années 80 et 90 sont de fait synonymes d'une consolidation du bouddhisme en Occident.  

L'époque contemporaine est à la tendance de l'ivresse de l'aventure et l'amoncellement des biens matériels, où tout doit arriver tout de suite, sans effort, dans un renforcement de l'ego. Dans ce contexte, le brassage des cultures et des convictions induites par la mondialisation amène de multiples voies religieuses - un véritable foisonnement d'offres - pour répondre aux nouvelles attentes de populations prises dans une crise des consciences religieuses. Le bouddhisme serait alors une réponse aux désirs occidentaux d'un confort à la fois matériel et spirituel, par une fuite de la souffrance et la recherche du bonheur. La monté de la violence un peu partout dans les civilisations contemporaines, en majeure partie issue d'une augmentation de la désagrégation des repères et de la misanthropie, forme une agressivité latente qui déstabilise les populations. Le bouddhisme apparaît alors, en prônant la non violence, comme une réponse à ce problème. Cette caractéristique passe par diverses représentations en Occident : le bouddhisme est thérapeutique pour apprendre la sérénité, il est doctrine de vacuité et d'indépendance des équilibres naturels, il est une voie de méditation. L'objectif est de retrouver l'enthousiasme nié aux adultes car devenir adulte dans la civilisation contemporaine, c'est renoncer à l'idéal, et trouver un métier devient trouver un emploi pour obtenir de l'argent. Dans ce monde morcelé, les clercs des religions habituelles apparaissent de plus comme incapables de gérer la crise des consciences religieuses. Ce que l'on appelle les "sagesses orientales" semblent donc parvenir à combler le vide spirituel que laisse le discrédit des grands systèmes religieux occidentaux qui souffrent de la sécularisation et de la crise de la modernité.
Aux yeux des Occidentaux, le bouddhisme semble revêtir les aspects de la modernité : liberté de choix, absence de contrainte, recherche personnelle, … Par ailleurs, le renouveau bouddhiste en Occident est lié aux mouvements féministes et à une remise en question du privilège du patriarcat des institutions occidentales. L'exemple des infirmières est le plus marquant : le bouddhisme apporte un regard nouveau sur la mort et son accompagnement comme sur la maladie. L'infirmière mariée, mère, qui fréquente chaque semaine un centre de dharma est le cas le plus typique de la bouddhiste française. Plus largement, après 68 et la chute progressive des pays communistes, la cause tibétaine est le nouveau canalisateur des espoirs révolutionnaires ; la spiritualité se forme sous fond d'action politique. C'est dans cette veine que s'inscrit le féminisme et le bouddhisme est dès lors une affirmation de la femme sans qu'elle ne se pare d'un statut masculin qui dénaturerait sa nature féminine, une affirmation moins brutale donc et plus maternelle. Ce féminisme bouddhiste fuit les extrêmes, s'exprime par la non-violence, par la voie de l'égalité des conditions et de la différence des fonctions. Si la cause tibétaine est si importante, c'est lié à cette nouvelle vision de la femme : par leurs actes envers les Tibétaines - stérilisation et torture - les Chinois s'en sont pris à cette façon nouvelle et bouddhiste de libérer la femme. C'est dans un enjeu de leur propre libération que les Occidentales s'engagent dans la cause tibétaine et bouddhiste de défense des femmes.

Cette vision nouvelle est une étape décisive pour le bouddhisme occidental ; l'attrait important du féminisme pour le bouddhisme est une manifestation spécifiquement occidentale.





Entre bouddhisme d'origine orientale et civilisation d'accueil occidentale, il ne pouvait y avoir qu'une acculturation. Le bouddhisme n'a en effet de cesse, tout au long de son histoire, de s'adapter en restant dans une dialectique d'accommodation et de préservation.

Toutefois, peut-on vraiment parler de bouddhisme occidental ? L'idée courante en Occident est que le bouddhisme sert à être moins stressé, ce qui est différent de la tradition orientale et montre de fait que le bouddhisme occidental a subi des transformations. L'idée d'une navayana, d'un "nouveau véhicule" du bouddhisme, portée et pratiquée par les Occidentaux est pour la première fois exposée par J.-E Ellam au début du XXe s.  Les premiers mouvements d'innovation se traduisent par la fondation de nouvelles lignées par les maîtres orientaux eux-mêmes. Aux Etats-Unis, par exemple, est fondé en 1982 le Kwan Um School of Zen qui est un prolongement d'une école coréenne Chogyé à destination d'une audience occidentale, tout en gardant des liens étroits avec la Corée. Autre transformation : l'augmentation des écoles bouddhistes autonomes c'est-à-dire non rattachées à une organisation historique ; elles sont particulièrement présentes en Grande-Bretagne (26.5%) mais se retrouvent également dans d'autres pays européens, par exemple la France (3%) ou encore l'Allemagne (7%). Cette attitude de non-alignement est initiée en Europe par E. Hoffmann, fondateur de l'ordre de l'Arya Maitreiya Mandala en Allemagne (1933). Elle traduit un désir de "retour à l'esprit des enseignements originels du Bouddha" selon Baumann mais dans un contexte occidental. Une troisième orientation de changement se voit dans l'importance des courants œcuméniques. Ils se forment dans les années 1950 en Europe dans le but de rassembler pratiquants asiatiques et occidentaux autour de projet d'études et de promotion du bouddhisme, parfois associé à des actions caritatives. Il y a une mise sur pied d'organismes de formation et d'instruction bouddhiste sur le modèle scolaire occidental, voulu pour substituer aux formes traditionnelles de transmission religieuse, et qui s'inscrit dans une accommodation à l'environnement laïc des pays d'accueil. Il semble donc qu'au contact de l'Occident, le bouddhisme ne puisse que subir d'inéluctables métamorphoses. Mais, si transformation il y a bien, il ne s'agit bien plus d'une variété d'acculturation locales - l'on parle d'un bouddhisme français, d'un bouddhisme américain,… - plutôt que d'une occidentalisation générale.

La question de la modernité du bouddhisme est également à soulever. Serge-Christophe Kolm est celui qui a le plus affirmé l'affinité entre le bouddhisme et les valeurs modernes (1982). Depuis lors, plusieurs chercheurs sont revenus sur cette question : Smith en 1996, Léquéau en 1998 ou encore Lenoir en 1999. Le terme de modernité est cependant anachronique pour désigner une tradition vieille de plus de deux mille ans. Cette conception tient plutôt d'un discours moderniste qui veut voir la transformation du bouddhisme par le prisme du modernisme, sans pour autant procéder à une analyse détaillée des liens entre modernité et bouddhisme. Si la modernité du bouddhisme est peu certaine, il est en revanche admis qu'il y a bel et bien un processus de mutation. La dynamique du bouddhisme est à une processus intégratif qui accepte les influences liées au contexte occidental (Prebish, 1999). C'est donc une modernisation dans le sens d'une universalisation des doctrines avec l'abandon des traditions locales ou ethniques que le bouddhisme pouvait revêtir dans certaines régions d'Asie. Lionel Obadia parle d'un processus "d'acculturation-déculturation" soit un processus qui permet au bouddhisme de rester en adéquation avec les valeurs dominantes de l'Occident tout en permettant de mieux l'acculturer. Ce processus intégratif permet en outre au bouddhisme de s'étendre mondialement, et non seulement en Occident, avec, par exemple, une expansion dans les pays de l'Est dès les années 90. La laïcisation est un aspect de cette mutation, si l'on ne peut parler de modernité. Il s'agit de s'adapter à la culture de sécularisation du pays d'accueil ; cette adaptation est le fait de la tendance mahâyâniste et ne concerne donc pas l'intégralité des courants bouddhistes. Parmi les courants mahâyânistes, le Soka Gakkaï, de formation nippone, est le plus poussé dans la voie de la laïcisation qui s'entend également avec une dévalorisation de la fonction religieuse : c'est une organisation laïque faite pour des laïcs. Elle s'adapte de ce fait très bien aux valeurs humanistes de l'Occident laïc et cette éthique laïque est un message adressé à des hommes ordinaires qui ne sont pas sortis du contexte de leur travail.



Arrivé dans les années 90 en une véritable déferlante, d'abord "fait de société", une de presse, effet de mode, le bouddhisme s'inscrit dans de nouveaux intérêts des Occidentaux qui cherchent dans les nouvelles offres religieuses induites par la mondialisation des réponses à la crise des consciences religieuses qui sévit en Occident. Importé par l'immigration asiatique des dernières années, soutenu par le vieil intérêt intellectuel des Occidentaux, et servi par un désir d'assimilation, le bouddhisme a réussi à s'implanter en Occident. Il y dispose d'écoles, de différents courants et de pratiquants. Entre la civilisation occidentale et le bouddhisme oriental se crée une alchimie d'acculturation, chacun influençant l'autre, parfois même jusqu'à la création de courants laïcs. De nos jours, le bouddhisme est de fait installé dans le paysage occidental, non pas dans ses traditions asiatiques, impossibles à importer telles quelles, mais dans de nouveaux courants acculturés et assimilés aux valeurs occidentales.


BIBLIOGRAPHIE

Ouvrage(s) spécialisé()s :
ETIENNE Bruno (dir.), LIOGIER Raphaël, Être bouddhiste en France aujourd'hui, Hachette, Paris, 1997, 266 p.
GOETGHEBEUR Frans (dir.), Les milles visages du bouddhisme. Histoire, actualité et pratiques, Editions Racine, Belgique, 2008, 166 p.

Ouvrage(s) en ligne :
OBADIA Lionel, Le bouddhisme en Occident,  La Découverte « Repères », Paris, 2007, 128 p.
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Lun 9 Mai - 16:46
[Un dossier épigraphique que j'ai dû traité dernièrement. Plus intéressant que je ne le pensais au départ. On a tendance à oublier que Tibère n'était pas l'héritier présumé d'Auguste et qu'instaurer une dynastie, à l'époque romaine, ça ne coulait pas de source !]

Honneurs de Pise à Caius César défunt

Texte :

Le 21 février, en 4 de notre ère, meurt Caius César, fils d'Agrippa et petit-fils d'Auguste qu'il avait également adopté, seulement deux ans après la mort de son frère Lucius César en 2 apr. J.-C. L'ensemble des villes de l'Empire célèbrent alors le deuil de ce Prince de la Jeunesse qui était vu comme étant l'héritier de l'empereur. Les honneurs exceptionnels qu'il avait reçus de son vivant sont poursuivis dans sa mort, comme cela avait déjà été le cas avec son frère. La colonie de Pise fournit pour ces princes deux longs décrets statuant des honneurs posthumes qui leur sont décernés. La situation de Pise est particulière : Lucius et Caius César étaient les patrons de la jeune colonie qui avait de fait des liens privilégiés avec la famille impériale et, dans le cas de Caius, le décret dut être pris dans des circonstances anormales alors que la cité devait faire face à une absence de magistrats, et donc de représentants du pouvoir civique. Ces deux décrets, et notamment celui de Caius César, nous fournissent donc, outre les informations sur la mort et les honneurs posthumes de ces deux princes, un aperçu de la vie civique d'une colonie au début du Ier s. apr. J.-C. Les honneurs décernés à l'occasion de la mort de ces princes sont également d'une grande importance dans la compréhension d'une part de la vie religieuse de la cité et d'autre part apportent des indications sur le développement et la mise en place du culte impérial.
Les deux décrets de Lucius et Caius César ont été découverts à Pise au XVIIe s. Ils sont gravés sur deux plaques en marbre de Luni. Leurs longueurs sont considérables : 37 lignes pour le décret de Lucius et 59 lignes pour celui de Caius - qui présente une spécificité liée à l'absence de magistrats dans la cité ayant rallongé sa teneur. Le décret de Caius est amputé de son début, ce qui fait que nous ne possédons pas la date ni le lieu de réunion. Des dates sont pourtant citées par la suite : celle du 4e jour avant les nones d'avril, soit le 2 avril, jour où parvient la nouvelle de la mort de Caius à Pise et où le sénat local se réunit pour prendre les décisions concernant les honneurs à rendre, et le 9e jour avant les calendes de mars, soit le 21 février, date de la mort de Caius à Limyra, en Lycie. Pour Lucius, le décret est daté du 19 septembre 2 apr. J.-C. : la réaction des magistrats de Pise est ici rapide, la mort ne remontant qu'au 20 août de la même année. Au contraire, Pise met un certain temps à réagir à la mort de Caius : le décret précise la date d'arrivée de la nouvelle et la réunion immédiate qui l'a suivi pour expliquer ce délai et se décharger d'une possible accusation de retard ; de par cela, le décret concernant Caius revêt une certaine forme d'urgence, au contraire de celui de Lucius.
Ce décret permet d'appréhender différentes thématiques : non seulement le témoin de la mort d'un prince en particulier, il nous renseigne plus largement sur des questions civiques et religieuses, notamment concernant le culte impérial. Il sera donc intéressant de développer chacun de ces points.
Nous commencerons donc par voir le détail des honneurs qui sont votés pour Caius César défunt puis de quelle façon ils servent le culte impérial. Une dernière partie se penchera plus longuement sur le cas particulier de la vie civique de Pise au moment de la mort de ce prince.


Des honneurs posthumes


Le décret pour Caius César, tout comme celui de Lucius César, a pour objectif de rendre visibles les honneurs rendus par la cité de Pise après la mort de ce prince. Il développe de fait la liste de ces honneurs extraordinaires dont la forme deviendra un modèle pour la mort d'autres princes impériaux, notamment Germanicus.


Mort d'un Prince impérial

Caius César, malgré son jeune âge, n'ayant de fait que 24 ans lorsqu'il est mort, avait déjà effectué de nombreuses charges autant politiques que militaires. Le texte du décret indique en effet qu'il a « achevé avec bonheur » (l. 7) un consulat, mené « une guerre au-delà des bornes extrêmes du peuple romain » (l. 7-Cool, « bien dirigé l'Etat » (l. Cool et « écrasé ou pris sous sa protection des peuples très belliqueux et très importants » (l. 8-9). Caius César assume de fait la toge virile en 5 av. J.-C. en même temps que le titre de Prince de la Jeunesse et un siège au Sénat. En 1 apr. J.-C., il est nommé consul puis désigné par l'empereur Auguste pour mener une armée en Arménie l’année suivante. C'est lors de ces campagnes, durant le siège d’Artagira, qu'il est gravement blessé, blessure qui finira par l'emporter en 4 apr. J.-C., huit mois plus tard, à Lymira en Lycie. La mort de Caius n'intervient que deux ans seulement après celle de Lucius et ravive la douleur des cités romaines qui perdent alors le deuxième Prince de la Jeunesse. Le décret revient sur cette affliction qui prend suite de la tristesse encore ressentie à cause de la mort de Lucius : eaque res nondum quieto luctu, quem ex decessu [L. C]aesaris fratris eius (l. 17). Les vocabulaires de la perte et du regret sont fortement présents dans le texte : « accident fatal » (l. 10), « enlevé au peuple romain par de cruels destins » (l. 10), « ce désastre se renouvelait » (l. 14), « avait accru l'affliction de tous et de chacun » (l. 14), « cette circonstance tragique » (l. 15), « l'importance d'un malheur si grand et si imprévu » (l. 17). Ce décret insiste sur l'ampleur de la perte des deux héritiers d'Auguste l'un après l'autre, avec très peu d'années d'écart, pour l'Empire et plus particulièrement pour Pise. Car la colonie perd également ici ses patrons. Pise n'est pas une création ex-nilo des débuts de l'époque impériale : même si ses origines sont encore mal connues, il est assuré que Pise obtint le statut de colonie de droit romain sous le nom de Portus Pisanus en 180 av. J.-C. et celui de municipe en 89 av. J.-C. Pourtant le décret pour Caius César indique que son frère Lucius César était le « patron » de la cité (patroni nostri l. 18) et que Caius lui-même était « l'unique défense » de la colonie (no[st]rae unicum praesidium l. 17). Pise avait de fait des liens privilégiés avec la famille impériale au début de l'Empire : l'empereur Auguste profita de son emplacement stratégique pour en faire un port important en lui donnant le titre de Colonia Iulia obsequens ; c'est certainement en raison de ces liens que les deux frères s'étaient vus attribuer le titre de patronus de la colonie nouvellement associée à la famille des Iulii. Pise avait donc doublement intérêt de célébrer des honneurs funèbres particuliers.

Iustitium

Cette célébration passe par l'observation d'une période de deuil qui se pare, pour Caius César, de la forme du iustitium. Suspension temporaire des pouvoirs civiques et judiciaires des magistrats et des juges d'une cité, le iustitium survit durant le Principat sous la forme de marque de deuil. Selon Isabella Cogitore , la construction du verbe conseuerunt introduisant l'infinitif oportere lui-même associé aux propositions infinitives cunctos … convictibus sese apstinere, matronas … sublugue, diem … prodi et caueri (l. 22 à 28) est significative de la procédure de iustitium. Des lacunes dans le texte du décret de Lucius ont enlevé les détails des décisions prises par Pise concernant son deuil mais le décret de Caius y fait explicitement référence : eodem loco eodemque modo  L(ucii) C[aes]ari parentari institutum est (l. 32). La mort de Lucius aurait de fait servi de modèle pour les funérailles de Caius, et plus tard de Germanicus. Toutefois, ce décret de Pise concernant la mort de Caius César permet de préciser les manifestations funèbres qui sont utilisées par les colons de la cité pour honorer leur patron défunt. Il s'attarde en effet assez longuement sur les différents points qu'impliquent le iustitium qui est décidé par la colonie de Pise et en fait une liste précise : cunctos veste mutata, templisqu[e d]eorum immortalium balneisque publicis et tabernis omnibus clansis, co[nv]ictibus sese apstinere (l. 24-25). Nous avons ici affaire à une période de deuil officiel longue et formatée dont les décisions sont nombreuses et variées. Il s'agit d'une part de stopper toutes les activités de la cité pour qu'elle se concentre exclusivement sur le deuil du prince. Durant la période de deuil, qui s'échelonne à Pise du 2 avril, date de l'arrivée de la nouvelle de la mort, jusqu'à l'ensevelissement et les rites officiels rendus au défunt à Rome, la colonie se retrouve presque gelée dans ses activités religieuses et culturelles : temples, bains et tavernes sont fermés et les réjouissances interdites, notamment les banquets où la population se rassemblerait. Il s'agit également, pour les matronas quae in colonia […] sunt (l. 25-26) de pleurer publiquement le défunt. Ces pleurs publics ont une importance cruciale dans le monde romain : les rites du deuil sont en effet considérés comme une tâche féminine. Notons que le iustitium instauré pour Caius est longuement décrit alors que la célébration de sa mort est effectuée eodem modo que celle de Lucius, sans qu'aucune précision ne soit rajouté ; peut-être faut-il y voir la preuve que la mort de Lucius ne souleva pas une période de deuil sous la forme du iustitium - le terme utilisé pour faire référence au deuil de Lucius, luctu, est de fait différent - et que la mort de Caius le fit du fait de l'affliction supplémentaire qu'elle engendrait pour la cité.

Deuil annuel et honneurs durables

Mais, allant encore plus loin dans l'honorifique, le 21 février est rajouté au calendrier officiel de la cité comme « jour de deuil », telle que l'avait été « la défaite de l'Allia ». Le jour de l'Allia commémorait depuis la bataille contre les Gaulois en 390 av. J.-C. le souvenir traumatisant que cette défaite laissa sur les Romains. Si le 21 février est inscrit au calendrier selon les mêmes modalités, il rejoint donc le rang des jours néfastes et la mort de Caius représente pour ceux qui prennent cette décision un malheur aussi grand que cette lointaine défaite encore vivace dans les esprits des Romains. A partir de 4 apr. J.-C., tous les ans au 21 février, Pise décide donc de célébrer la mort de Caius César par une journée de deuil annuelle durant laquelle est décidé de ne quod sacrificium publicum neve quae supplica[tio]nes nive sponsalia nive convivia publica postea in cum diem eo[ve d]ie, qui dies erit a. d. VIIII k. Mar(tias), fiant concipiantur indicantu[rve], nove qui ludi scaenici circiensesve eo die fiant spectenturve (l. 28-30). Les décisions appliquées aux 21 février sont presqu'équivalentes à celles prises durant la période de deuil concernant les activités des habitants de Pise : interdiction de sacrifices publics, de prières, de fiançailles, de banquet ou encore de spectacles de théâtre ou de cirque. Parallèlement, les « magistrats ou ceux qui dirigeront Pise avec pouvoir de justice » (l. 28-29) doivent observer des rites funèbres. Ainsi, chaque année, durant ce jour, la mort de Caius César est commémorée d'une part par des rites, d'autres part par des interdictions liées au deuil renouvelé de ce prince : Caius César bénéficie de fait de parentationes. Le choix du lieu n'est pas cité car le décret indique bien qu'il s'agit du même endroit (eodem loco) que pour les rites observés pour Lucius. Il s'agit d'un autel, entouré de palissades, où chaque année est brûlé du bois, pour répéter la commémoration en souvenir. Notons toutefois qu'il n'est pas demandé de porter à nouveau un habit de deuil ou de faire entendre les suppliques des matrones : plus qu'une continuité annuelle du deuil initial, ce jour de deuil a pour objectif de commémorer la mémoire de la mort d'un prince impérial, qui se double à Pise du statut de patron de la cité. Les honneurs attribués à Caius ne s'arrêtent pas à un simple deuil, soit-il organisé en iustitium et rendu annuel. Après ces honneurs funèbres, le décret liste des honneurs durables, des constructions, liés à une représentation dans l'espace public de Caius César, et également de son frère Lucius. Il est ainsi élevé « un arc en un lieu très fréquenté de [la] colonie, orné des dépouilles des peuples qu'il [= Caius] a vaincus ou à qui il a accordé sa protection» ; le terme utilisé pour l'arc est mutilé mais il semblerait, pour W. Lebek , qu'il faille restituer non pas [arc]us mais [ian]us c'est-à-dire un arc à une seule baie. En plus de ce monument, véritable symbole à lui tout seul, Pise fait construire sur sa partie supérieure « sa [= Caius] statue en pied en costume de triomphateur, encadrée de deux statues dorées de Caius et Lucius Césa » (l. 30-33).
Ce complexe statuaire, combiné au programme iconographique de l'arc, n'est pas anodin dans la mesure où il transmet aux passants un message qu'il faut relier au culte impérial qui se développe justement dans ces années-là.



Servir le culte impérial


La mort du deuxième fils adoptif de l'empereur Auguste, alors qu'il était le seul héritier présumé depuis la mort de son frère et l'écartement de Tibère à cette époque, est un coup dur pour le jeune Empire qu'Auguste s'efforce de fonder. Elle se doit donc d'être célébrée avec des honneurs particuliers et autrement plus significatifs : il s'agit de commémorer un membre de la domus impériale . En effet, plusieurs points de ce décret éclairent la mise en place d'un culte autour d'une famille impériale, et non plus une seule personne comme on avait déjà pu l'observer avec César.

Par la titulature utilisée

Ce décret, notamment mis en relation avec celui de Lucius, permet de se pencher sur les relations entre une colonie et Rome en lien avec la construction d'une dynastie impériale. Tout d'abord, quand les liens familiaux sont mentionnés pour la première fois, les titres sont détaillés avec soin : C(aium) Caesarem , Augusti patris patriae [po]ntif(icis) maxsumi custodis imperi Romani totiusque orbis terrarum praesi[dis f]ilium, divi nepotem (l. 11-13). La titulature d'Auguste, quelques lignes plus loin, est différente : im[peratori Ca]esari Augusto patri patriae pontifi(ici) maxsimo tribuniciae po[testate] XXVI indicet (l. 42-43). Les titres de père de la patrie et de grand pontife d'Auguste sont bien mentionnés mais il manque la puissance tribunicienne qui n'est indiquée que lorsque l'énoncé de titres ne concerne non pas une filiation mais l'empereur lui-même. L'empereur est en outre désigné, dans la première citation, par une longue expression où sont notamment utilisés les termes de custos, le gardien, et de praeses, le protecteur. Ce dernier terme est également employé pour désigner Caius lorsque le décret le mentionne étant « l'unique défense » de la cité : le mot « défense » est traduit du latin praesidium. Hors des cercles restreints de la titulature officielle, les villes romaines pouvaient employer des désignations honorifiques plus vagues , des titres locaux pour parer l'empereur ou un membre de la famille impériale, selon des idées, des liens ou des appréciations locales. Ces titres locaux impliquent alors un ton différent : ici, les habitants de Pise veulent mettre en avant le rôle de protection de l'empereur, et de son héritier, et également instaurer un autre rappel de ses liens avec la famille impériale, elle qui était une colonie ayant obtenu son statut d'Auguste lui-même et dont Caius et Lucius étaient les patrons.

Par le programme iconographique

Le groupe statuaire surmontant l'arc et ce monument en lui-même sont symboliques de la mise en place d'un culte organisé autour de la famille impériale. Il s'inscrit dans le cadre des nombreuses représentations statuaires des proches d'Auguste dans les premières années de son règne où se multiplient les groupes statuaires représentant Auguste, ses fils, parfois d'autres membres de la famille impériale, en une étape importance vers une plus grande visibilité. Cependant, les morts successives de Lucius et Caius, et de fait la perte de deux héritiers presque simultanément, réduisit la représentation, au moins statuaire, des membres de la famille impériale. Le monument est placé dans un lieu fréquenté de la cité, pour qu'il puisse être vu par le maximum de personne, autant les habitants de Pise que les étrangers de passage ; de par sa présence spatiale et son importance monumentale, il prend alors possession de l'espace public comme un rappel du pouvoir de l'empereur et de sa famille. Son programme iconographique sert ainsi le message de grandeur que veut faire passer la famille impériale. Sur ses parois devaient être représentés les peuples asservis lors des campagnes de Caius César et il était orné de trois statues : une statue de Caius à pied en triomphe et deux statues équestres, de Caius et de Lucius. Caius est donc dédoublé dans ce groupe statuaire : la statue triomphale renvoie à la salutation impériale qu'il a reçu en 3 apr. J.-C. alors que les deux statues équestres, où il est flanqué de son frère, renvoient, elles, à leur statut de Princes de la Jeunesse, dignité qu'ils avaient reçu tous les deux, au contraire du titre d'imperator dont seul Caius avait été gratifié. Ce dédoublement se veut insister sur deux points de sa carrière impériale : d'un côté son rôle d'imperator, dont les reliefs des peuples qu'il a vaincu renforcent, et d'un autre son statut de Prince de la Jeunesse, titre nouveau propre au Principat et plus particulièrement à ces deux princes. Mais F. Kleiner (1985) va encore plus loin en insistant que le dédoublement ferait de l'arc un cénotaphe de Caius doublé d'un monument public honorant les deux patrons de la ville. Et qu'avec la présence Lucius sur ce monument, il y aurait la volonté de représenter la domus impériale sous les aspects qui rapprochent ces deux princes impériaux du monde divin. Ce serait alors un choix plus affirmé que celui pris, par exemple, par Nîmes, qui fit construire pour les deux frères la Maison Carrée. Cela pourrait s'expliquer par la vacance du pouvoir à Pise lors de l'élaboration de ce décret : le pouvoir local se serait alors permis des décisions plus audacieuses, au contraire de Nîmes qui aurait préféré rester plus prudente du fait de l'adoption par Auguste de Tibère la même année .

Mise en place d'une dynastie impériale

Cette mise en place se voit tout d'abord par le titre de Princes de la Jeunesse qui est incontestablement nouveau . Ils sont donc les premiers à Rome à être reconnus dans la pratique comme des successeurs et les honneurs qui leur sont décernés dans leurs morts sont un modèle à suivre dans l'optique d'une légitimation de la dynastie qui se veut se mettre en place. Dans sa titulature, Caius est précisé divi nepotem c'est-à-dire « petit-fils de César divin », dénomination qui est absente dans la titulature de Lucius. Car, outre de rattacher Caius à César présenté comme son aïeul, le jeune homme semble être désigné comme le successeur attendu d'Auguste : il est de fait nommé designatus […] princeps et il serait tentant d'y voir une analogie avec l'expression designatus consul. Toutefois, plusieurs mots séparent designatus de princeps, l'expression totale étant : designatu[m i]ustissumum ac simillumum parentis sui virtutibus principem (l. 16-17). De plus, ce serait alors un emploi extraordinaire, et unique, d'une telle expression pour désigner le successeur d'un empereur. L'hypothèse plus couramment acceptée, et plus assurée, est que le terme designatus renvoie à iustissumun et simillumun : le jeune princeps serait alors désigné par ces deux adjectifs voulant lui accorder d'être « très juste et absolument semblable à son père par ses vertus » (l. 11) ; il s'agit là de le rattacher à la grandeur d'Auguste et d'amplifier l'ampleur de la perte d'un héritier en tout point semblable à l'empereur en règne, qui ne peut qu'être doué de toutes les vertus. Ce décret est donc un renforcement du premier décret de Lucius avec une insistance sur la stature des glorieux prédécesseurs dont les deux princes étaient héritiers, Auguste, mais également César, remontant ainsi sur deux générations ; stature qu'on voulait indiquer par-là rejaillir sur Caius.
Si déjà Pise rappelait ses liens avec Lucius, ce décret-ci paraît aller encore plus loin et affirmer explicitement l'existence d'une dynastie impériale.

Le contexte particulier du décret de Pise

Si le décret de Caius est d'un intérêt certain lorsqu'il est mis en série avec celui de son frère, et plus tardivement de Germanicus, il a également le mérite d'apporter des informations plus locales concernant Pise : en effet, lorsque le décret est pris d'urgence, il n'y a pas de magistrats élus dans la cité qui doit alors prendre des décisions par le biais d'une autre forme de représentation politique, dont la légitimité peut être remise en cause.

L'absence de magistrats

Le texte lui-même revient plusieurs fois sur ce problème d'absence politique : […m]agistratuns non essent (l. 9) ou encore quando eo casu in colonia neque IIvir(i) neque praefecti er[ani] neque quisquam iure dicundo praerat (l. 21). Et il ne manque pas d'ajouter que cette absence est due à de fâcheuses circonstances : contentiones candidatoru[m …] (l. 9), utique [cu]m primum per legem coloniae doviros creare et habere potu[eri]mus (l. 36). Comme à Rome, les duumvirs de Pise auraient certainement dû entrer en fonction le 1er janvier de l'année et pourtant, en avril, la cité en est encore dépourvue. Il n'y avait pas non plus de préfets pro-duumvirs. Même si le décret les cite, les conflits politiques qui en sont la cause ne sont pas développés. Ils durent cependant être d'une certaine violence devant le délai que mettent les élections à réussir à se faire ou leurs résultats à être proclamés. Devant un tel « blocage institutionnel » , il n'y a pas à douter que l'allusion de la ligne 9 n'est pas représentative de l'ampleur des conflits. En somme, Pise était en avril 4 apr. J.-C. totalement dépourvue des personnages politiques pouvant « dirig[er] la cité avec droit de justice » (l. 16). Les décurions avaient besoin, pour se réunir, de l'appel d'un magistrat et ne pouvaient de fait prendre un décret. Or la mort de Caius César était un événement trop grave et important pour attendre la fin des conflits bouleversant Pise. Il fallut donc recourir à une assemblée informelle composée des décurions et des colons de la cité ( « tous les décurions et colons se sont mis d'accord entre eux » l. 16-17).

Des décisions prises d'urgence

Toutes les décisions consignées dans ce décret sont donc émises par une décision commune aux décurions et aux colons. Dans les travaux qu'elle a consacré à la question, Simonetta Seginni émet l'hypothèse que les habitants de Pise ont alors formé une contio c'est-à-dire une réunion convoquée par un magistrat ou un sacerdotal où participent tous les citadins pour intervenir sur des décisions importantes . Il y a néanmoins des points de différence : ces décisions ne sont normalement pas validées par les pouvoirs politiques et il n'y avait pas de magistrats pour convoquer la réunion ; quant à un sacerdotal, aucun n'est cité dans le texte, dont il manque toutefois le début, hormis peut-être le personnage de Titus Statulenus Iunctus qui est « flamine augustale » et « pontife mineur des cultes du peuple romain » (l. 38). Il ne faut pas oublier que Caius César meurt en février et que le décret n'est daté que d'avril. Un tel délai s'explique par la longueur que prit la nouvelle pour arriver à Pise mais la cité dut craindre pour son intégrité et se dépêcha de rendre les honneurs au prince défunt. On ne peut manquer en effet la surenchère qui est faite par rapport au décret concernant les honneurs rendus à Lucius deux ans plus tôt et également l'insistance sur l'unanimité de l'assemblée sur ces décisions (consensus, omnium p. 49 ou encore iussu ac  vo[lum]tate (l. 27). Plus explicite, la cité envoie à Auguste un légat pour « excuser la colonie pour le cas de force majeure actuel et d'annoncer à l'empereur César Auguste […] les devoirs rendus officiellement et la volonté unanime » (l. 39-41). Seule l'urgence de la situation a donc pu pousser Pise à recourir à une assemblée n'ayant aucune valeur légale et dont les décisions se devaient d'être par la suite légitimées.

La légitimité du décret

L'absence de magistrat dont souffre Pise induit des différences dans la forme même du décret de Caius César : contrairement à la forme habituelle, ce décret ne précise pas qui a fait les propositions des décisions prises par l'assemblée, décisions qui apparaissent de fait unanimes et surtout spontanées, et dans le même temps, sa structure est plus complexe que celle du décret de Lucius. En effet, le décret doit expliquer la situation particulière de Pise et indiquer que les décisions prises doivent être ratifiées lorsque les duumvirs seront enfin élus : utique [cu]m primum per legem coloniae doviros creare et habere potu[eri]mus, ii duo viri qui primi creati erunt, hoc quod decurionibus  et [uni]versis colonis placuit, ad decuriones referant, eorum publ[ica] auctoritate adhibita legitume id caveatur auctoribusque iis [in t]abulas publicas referatur (l. 36-40). En plus de cela, toute la fin du décret est décernée à la légitimation des décisions qu'il veut entériner. Celle-ci se fait en deux temps, au sein de la forme du décret mais également dans le temps réel. En premier lieu, l'assemblée des décurions et des colons envoie à Rome Titus Statulenus Iuncus qui est porteur d'un libellus. Ce personnage est chargé par sa cité d'une ambassade auprès de l'empereur pour lui expliquer la situation particulière de Pise qui veut se dédouaner de toute remontrance. La titulature de cet homme est révélatrice que sa mission fut un succès car, s'il est seulement qualifié de fla[me]n Augustalis, pontif(ex) minor publicorum p(opuli) R(omani) sacrorum (l. 40-41) avant son départ, lorsqu'il est à nouveau cité après son retour, le titre de princeps coloniae (l. 44-45) lui est accordé, ce qui est un indice certain de l'honneur que la cité lui rend pour avoir bien accompli sa tâche. Le décret de Lucius indiquait aussi que Pise avait envoyé un légat à Rome pour que l'empereur ratifie les honneurs décidés pour un prince de la famille impérial ; mais ici, l'ambassade de Titus Statulenus Iuncus va plus loin, il s'agit, bien plus que ratifier des honneurs encore plus exceptionnels que ceux de Lucius, et qui les recoupent en partie, de confirmer des décisions prises, non pas par les magistrats de la cité, mais par une assemblée informelle. A l'échelle de la colonie elle-même, le décret est bel et bien légitimité par les duumvirs, ce que la dernière partie du texte indique clairement. Il ne fait pas de doute que cette partie fut rajoutée postérieurement, soit au texte avant le passage à la pierre, soit sur la pierre elle-même, lorsque les duumvirs sont élus : le début de cette partie mentionne à nouveau la date du 2 avril tout en usant du passé pour parler des décisions prises par les décurions et les colons (l. 46-47). Les décisions prises d'urgence le 2 avril sont donc ratifiées par un pouvoir politique légitime, pérennisées (« tenu et observé à perpétuité » l. 50) et inscrites dans les « registres officiels » (l. 51).
Il ne faut pas que cette situation isolée fasse penser, de façon erronée, à une forme de souveraineté populaire. La fin du décret illustre bien que les décisions prises par l'assemblée des décurions et des colons n'avaient aucune valeur légale avant que les duumvirs, une fois élus, ne les ratifient.


Si le décret de Lucius montrait déjà des signes de la construction de l'image de la domus impériale, la mort de Caius et le décret qui est voté pour ses honneurs posthumes vont encore plus loin. Cela se voit d'une part par l'importance des honneurs accordés par la colonie pour son patron défunt : s'ils recoupent les honneurs préalablement décidés pour son frère, concernant l'autel et le culte annuel, s'y rajoutent d'autres honneurs, de différents types, allant d'un iustitium élaboré à la construction d'un monument honorifique porteur d'un véritable message tant dans son programme iconographique que dans son groupe statuaire. D'autre part, le décret insiste à plusieurs reprises sur l'appartenance de Caius César à la famille impériale : il est rattaché, bien évidement, à son père adoptif, l'empereur Auguste, mais également à son grand-père adoptif, César divinisé ; un lien est de fait créé entre le défunt et cet illustre aïeul divinisé : la domus impériale prend forme. Enfin, ce texte se double d'un autre intérêt de par sa situation particulière : Pise, alors dépourvue de magistrats, doit prendre des mesures d'urgence et recoure pour cela à une assemblée de ses décurions et de ses colons. Cet exemple illustre de façon inédite les relations entre une colonie et le pouvoir impérial au début du Ier s. apr. J.-C et apporte de précieux renseignements sur la vie civique à cette époque. Il faut toutefois noter que, même si ce décret vient poser un nouveau jalon dans la mise en place de la dynastie et du culte impériaux, les termes pietas et domus en sont absents alors qu'ils sont relevés dans la Tabula Siarensis et le Senatus consultum de Cn. Pisone accordant ses honneurs posthumes à Germanicus, quinze ans plus tard. C'est en cela que L. Sensi indique de « mettre en série » ces trois princes défunts dans un « climat de légitimation de la transmission héréditaire du pouvoir ».


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